Tribune : Un nouveau modèle européen de l’innovation

Nous republions ici la tribune rédigée et publiée par la Fabrique des Mobilités, qui a été signée par une trentaine de personnes, dont Jacques-François Marchandise pour la Fing. Elle est totalement dans la lignée de notre défi #Reset appelant à une autre innovation mais aussi de notre projet Innovation Facteur 4.

Alors que l’Europe est aujourd’hui fortement questionnée sur ses volets économique, solidaire et écologique, une composante est peu présente dans le débat : l’innovation. Pourtant, elle est un enjeu clé des défis européens pour les prochaines années.

Edgar Morin définit nos défis modernes comme le changement climatique par leurs complexités, c’est à dire par ce « tissage » entre les champs de connaissance dont il faut restituer le contexte, les interactions et en particulier les rétroactions.

Notre principal ennemi : le temps

La rapidité d’évolution de nouvelles puissances économiques comme la Chine, mais aussi de notre climat et environnement ne cessent de croître alors que le temps d’évolution culturelle de nos organisations marque le pas. L’Europe semble à l’arrêt et peine à se trouver un modèle collectif.

Toutes les organisations publiques et privées deviennent de plus en plus interdépendantes les unes des autres pour concevoir, expérimenter et tenter de répondre à nos principaux défis. Malheureusement elles peinent à évoluer à la bonne vitesse et à se coordonner efficacement.

Plus les dépendances entre les parties prenantes d’un domaine ou d’un problème sont nombreuses et inter-liées, plus il devient difficile à chaque acteur de se coordonner avec une multitude d’autres intervenants quand les ressources sont fermées et brevetées. À l’inverse, l’utilisation de ressources ouvertes démontre alors leur supériorité car elles permettent à un groupe qui les emploie de les utiliser plus rapidement, de s’ajuster et se reconfigurer en permanence. Il y a alors moins de barrières, plus de liens, plus d’innovations. Pour chaque ressource, les conditions d’accès doivent être définies pour qu’elle soit utilisable, manipulable par un maximum d’acteurs.

Il s’agit de gérer un compromis. D’un côté une ressource fermée protège sa valeur donc réduit les connexions potentielles avec d’autres acteurs et oblige le propriétaire à financer entièrement son développement. De l’autre côté, la valeur d’une ressource ouverte peut s’élargir au point de dépasser son créateur et trouver une communauté qui la fera grandir et augmenter les connexions. Pour gérer cette ouverture, une communauté d’intérêt définit des règles sous forme de licence et une gouvernance. La ressource ouverte s’appelle alors un commun.

Découvrez de nouveaux alliés

Lorsqu’une ressource est ouverte, alors toutes les parties prenantes peuvent prendre connaissance des plans et du contenu de la ressource pour s’en inspirer, s’en servir ou s’y connecter voire proposer de nouvelles versions adaptées à leurs besoins en respectant les règles indiquées dans la licence. Il se crée ainsi un socle commun transparent d’usage et d’innovation. Dans toutes les organisations publiques et privées (association, coopérative, entreprise, agence, école ou laboratoire), il devient essentiel d’intégrer les communs et apprendre à en faire levier. Ce n’est plus une option, c’est un nouveau moyen d’action dans un monde complexe, au sens d’Edgar Morin.

Une ressource ouverte facilite également la formation et l’éducation en donnant accès à tous les composants matériels et logiciels. Par exemple, l’Université de Rennes finalise la documentation d’un véhicule électrique open source. Ce véhicule devient un support pédagogique et une base de développement technique pré-industriel pour des entrepreneurs, des enseignants et des chercheurs. Plusieurs écoles et laboratoires souhaitent désormais utiliser ce commun pour constituer une communauté d’intérêt nationale et, espérons, bientôt européenne.

Du côté des entreprises, Baidu, le Google Chinois, s’est engagé dans la course aux véhicules autonomes en lançant Apollo.auto avec de nombreuses briques open source logicielles mais aussi matérielles. Google exploite le potentiel de l’open source avec le partage d’outils de développements du type TensorFlow et autres projets logiciels. C’est une option pour rallier un grand nombre d’acteurs potentiellement concurrent, les amener à collaborer à grande échelle et à produire des ressources utiles en quelques mois. La valeur n’est plus uniquement dans la ressource elle-même mais dans la communauté capable de la développer et la faire croître rapidement.

Les superpouvoirs des communs

Les communs permettent de mutualiser des dépenses, construire des standards, rallier des communautés internationales, construire de nouveaux modèles d’affaires, se concentrer sur sa réelle valeur ajoutée et accélérer la diffusion de solutions technologiques. Les communs sont utilisables à la fois par les industriels mais également des startups, des laboratoires ou des écoles. En conséquence, nous proposons aussi aux structures de financement publiques nationales et européennes d’évoluer pour mieux les soutenir.

Dans un monde de ressources fermées, c’est bien la partie la plus lente de chaque écosystème « Grappe d’industriels – Territoire – Acteurs publics – Formation Recherche » qui définit la vitesse d’innovation de l’ensemble. Dans un monde avec des ressources ouvertes, c’est la possibilité d’une innovation plurielle, parallèle, partagée qui garantit une vitesse élevée et la propagation d’une diversité de solutions. C’est donc une course d’un genre nouveau qui mélange des compétences, des intérêts, des types d’acteurs, obligés de se coordonner dans le mouvement avec de nouvelles opportunités technologiques qui s’ouvrent au fil du temps. La synchronisation et l’alignement des moyens humains et financiers deviennent tout aussi importants que les compétences techniques de chaque acteur et cet alignement est favorisé par des ressources ouvertes.

En France, plusieurs structures généralement associatives agissent concrètement aujourd’hui pour développer des communs dans le droit (Open Law), la mobilité (Fabrique des Mobilités), l’entrepreneuriat en Afrique lancé par le Conseil Présidentiel pour l’Afrique (Digital Africa), le développement de la démocratie (Code for France). Des initiatives comme Public Money, Public Code ou Sharing & Reuse portent également cette volonté de renforcer l’utilisation et le financement des logiciels libres et open source.  Puisque les ressources sont ouvertes, il n’y a plus de frontières géographiques, ce sont de larges écosystèmes qui deviennent capables de se coordonner comme le montre Digital Transport 4 Africa lancé par l’Agence Française de Développement avec le World Resources Institute. Cela permet également l’engagement direct des citoyens avec l’initiative Fédération Open Space Makers initiée par le CNES dans le spatial. Au niveau de l’Etat, l’Agence du numérique porte également cette démarche autour des communs numériques via la coopérative MedNum pour les collectivités. Au niveau international des organisations à but non lucratif comme la Document Foundation, OW2, des fondations comme la Linux Foundation, Eclipse rassemblent des acteurs industriels dans plusieurs secteurs, ou encore Decidim en Espagne qui développe une plateforme de démocratie participative open source.

Pour changer les résultats, changer les financements

Le soutien public à l’innovation doit donc évoluer pour mieux financer les ressources ouvertes en incitant à la production de communs dans tous les appels à projet ou en lançant des challenges ouverts et ainsi contribuer à créer des emplois. En spécifiant les objectifs à atteindre comme par exemple, une mobilité sans-carbone ni pollution, il sera possible de produire des ressources ouvertes utiles à l’écosystème, capables de se développer quel que soit le destin de chaque projet. Chaque commun améliore également les capacités de coordination des acteurs entre eux. Plus important, la présence active du secteur public dans ces projets de communs est une condition indispensable pour intégrer les préoccupations d’intérêt général dont les acteurs publics sont les dépositaires.

Nous appelons les élus et décideurs publics à intégrer au plus vite le formidable potentiel des communs dans tous les dispositifs publics de soutien à l’innovation aux niveaux européen, nationaux et régionaux.

Notre temps est compté pour renforcer les écosystèmes par les communs et inventer une voie européenne, citoyenne et durable.

Signataires : Gilles BABINET (entrepreneur, vice-président du Conseil National du Numérique), Karima DELLI (Députée européenne en charge des transports), La Médiation Numérique, Karim SY (Digital Africa, membre du CPA), Michel BAUWENS (P2P foundation), Hervé PILLAUD (Membre Conseil National du Numérique), Jérôme GIUSTI (Avocat), Paul-Olivier DEHAYE (Personal Data), Josephine GOUBE (Techjugees), Amandine CRAMBES (Candidate élections européennes 2019, EELV), Thanh NGHIEM (Crapauds fous), Vincent KAUFMANN (EPFL), Jaime ARRENDONDO (Entrepreneur Bold & Open), Marina RACHLINE (The Camp), Erik GRAB (Michelin), Gaël BLONDELLE (Eclipse Foundation Europe), Cédric THOMAS (OW2), Damien HARTMANN (Fédération – Open Space Makers), Benjamin JEAN (Open Law, Inno³), Léthicia RANCUREL (TUBA), Thomas COTTINET (Liberté Living-Lab), Jacques-françois MARCHANDISE (FING), Bertil de FOS & Bruno MARZLOFF (Chronos), Olivier DUQUESNE (Club Linux-Nord-Pas de Calais), Hélène BEJUI (Groupe SOS), Simon SARAZIN (Optéos), Brigitte TROUSSE (France Living Labs), Thierry BARBAUT, Mehdi OMAROUAYACHE (COOFA), Olivier CLOTEAUX (Anayet), Olivier JASPART, Julien LECAILLE, Silvère MERCIER, Ricard ESPELT (UOC), Gabriel PLASSAT (La Fabrique des Mobilités).


En juin, 2 RDV pour poursuivre la dynamique #Reset !

Depuis le début de l’année, suite à la publication de la tribune rassemblant plus de 1200 signataires, l’initiative collective #Reset a suscité l’intérêt et l’adhésion de nombreux acteurs, au gré d’échanges, de contributions en ligne, d’événements et d’ateliers prospectifs, notamment les 3, 4 et 5 avril. Ensemble nous avons commencé à décrire des intentions, à identifier des pistes d’action, à qualifier des leviers de transformation. En juin, nous vous proposons 2 évènements pour construire ensemble la suite du programme #Reset.

Nous serons présents le 13 juin au festival Futur.e.s organisé par Cap Digital à la Galerie des Gobelins, entre 17h15 et 18h, pour présenter les premiers engagements des collectifs d’acteurs qui veulent un numérique capacitant, non-discriminant, frugal, innovant, démocratique, équitable, protecteur et facteur de confiance !

#Reset s’inscrit pleinement dans ce festival, que sa directrice Hélène Allain présente ainsi : « En 10 ans, les défis ont changé. La technologie accélère, dans un monde de plus en plus en tensions : menace climatique, mutation des emplois, crises migratoires, crise démocratique… Plus que jamais pour ses 10 ans, le festival reste ouvert à toutes et à tous, et affirme la position qui a toujours été la sienne : mettre en lumière une innovation compétitive et durable qui s’expérimente en lien direct avec les usagers et les territoires, et proposer la construction commune de futurs pluriels, alternatifs, engagés ». L’inscription est gratuite mais obligatoire.

Ensuite nous vous donnons RDV le 19 juin à 14h au Square Renault (Paris 11e), pour partager vos propositions d’actions collectives et d’engagements et faire émerger un programme pluriannuel visant à produire des résultats concrets. Plusieurs collectifs se sont engagés dans la démarche #Reset, il faut maintenant voir comment nous pouvons mettre en action les différentes initiatives qui existent déjà, définir celles qu’il est indispensable de mettre en place dans les mois qui viennent, décrire des intentions, qualifier les leviers de transformation, … N’hésitez pas à vous inscrire et/ou à nous écrire pour déjà partager vos initiatives et engagements !




Tribune « Il est temps que la loi reconnaisse le droit des travailleurs des plateformes numériques d’être représentés »

Dans le cadre du programme #RESET, nous posons la question de réussir à avoir un numérique qui ne propose pas du plus, mais du mieux et notamment un numérique qui permette de mieux partager la valeur produite, mais aussi qui permette de mieux respecter les droits des individus. C’est pourquoi nous nous sommes associés à l’initiative de ces experts du travail et/ou des mutations numériques qui appellent à l’instauration d’un véritable dialogue social entre plateformes et travailleurs des plateformes : Mathias Dufour, président de #Leplusimportant, Odile Chagny, co-animatrice du réseau Sharers & Workers, Jérôme Giusti, co-Directeur de l’observatoire Justice au sein de la Fondation Jean Jaurès et avocat associé de Metalaw, Jérémie Giniaux-Kats, avocat associé également chez Metalaw, ainsi que Bernard Soulez, Délégué général d’Acadi.

Dans le cadre du débat de la loi d’orientation et mobilités (LOM), ces acteurs rappellent dans une tribune publiée dans le Monde la nécessité d’introduire dans la loi un mécanisme de représentation et de dialogue social pour les travailleurs des plateformes numériques, étant donné que le droit de représentation et de négociation collective des travailleurs constitue un pilier de notre droit du travail et de notre modèle social. Les travailleurs des plateformes devraient donc bénéficier, à l’instar des travailleurs salariés, de droits de représentation et de négociation.

Il sera bien sûr nécessaire de discuter avec les différentes parties prenantes les modalités de mise en place de ces mécanismes mais ces experts proposent des modalités concrètes d’organisation des élections et du dialogue social :

  • le secteur comme niveau pertinent de dialogue social ;
  • des modalités d’élection proches de celles des TPE ;
  • un modèle de représentativité basé sur le principe de l’accord majoritaire.

Enfin il y a également un travail à mener sur la transparence des conditions d’emploi et de travail au sein des plateformes numériques. Pour comparer les plateformes numériques d’intermédiation et choisir librement d’y recourir ou non, les travailleurs devraient pouvoir comprendre simplement à quoi s’attendre en matière de conditions d’emploi et de travail (conditions de rémunération, d’accès à la protection sociale, assurances, modalités d’interaction avec la plateforme, conditions d’activation et de désactivation, modalités de règlement des conflits, procédures en cas d’accident du travail…). Or ces conditions manquent aujourd’hui de clarté et de transparence pour les travailleurs. Un portail public d’information sur les conditions d’emploi et de travail par les plateformes pourrait être mis en place, permettant ainsi aux travailleurs de prendre leurs décisions en connaissance de cause et de choisir librement leur avenir professionnel.

Si le sujet des travailleurs des plateformes vous intéresse, France Stratégie organise le 13 juin une conférence intitulée « Les plateformes de micro-travail : enjeu pour l’intelligence artificielle, enjeu pour l’emploi ? », infos et inscription en cliquant sur ce lien.


Podcast – Pour Tariq Krim, démocratie ou microciblage, il faut choisir

Tariq Krim était au coeur de la Silicon Valley lors des balbutiements du Web 2.0. Il a vécu cette effervescences aux côtés des plus grands acteurs de la tech, mais ne partage pourtant pas leur enthousiasme sur tous les choix qui ont tissé les fils de la Toile. Il rêve de services plus respectueux des usagers : de leur temps, de leur attention et de leur vie privée. Mais un obstacle majeur se dresse sur la route menant vers ce Slow Web : le microciblage, une technique marketing qui piste les moindres faits et gestes des internautes.
Pour Reset, il explique pourquoi cette technologie est néfaste pour nos cerveaux et la démocratie, et raconte sa vision d’un Web plus en adéquation avec nos droits fondamentaux.

Tariq Krim est entrepreneur et l’un des principaux activistes du mouvement Slow Web. Il est à l’origine des services Jolicloud, de Netvibes et de GenerationMP3, et a mi plus récemment au point dissident.ai.