Défi : Assurer une information libre et fiable

Cette fiche défi a été rédigée en septembre 2018, c’est une version provisoire, donc incomplète, pour documenter le sujet. Elle sera enrichie pendant la phase de contribution en ligne (à partir de février 2019).

Citations

« Nous ne vivons pas une crise sur ce qui est vrai, nous vivons une crise sur la façon dont nous savons si quelque chose est vrai. Nous ne sommes pas en désaccord sur les faits : nous sommes en désaccord sur l’épistémologie. » Cory Doctorow, auteur et journaliste.

« Mais la responsabilité informationnelle des organisations politiques doit se conjuguer avec un renouvellement des modèles économiques des médias sociaux numériques, qui ont reposé jusqu’à présent sur l’expropriation des données personnelles de leurs usagers à des fins publicitaires et sur la mise en place de longues chaînes de sous-traitance de tâches informationnelles vers des pays dits « du Sud ». C’est non seulement leur viabilité économique, mais aussi leurs admissibilités politique et éthique qui doivent être aujourd’hui questionnées », Antonio Casilli, chercheur à Télécom ParisTech.  

Pourquoi nous avons besoin d’un “reset” (ce qui se passe mal, ce qui ne peut plus durer)

Usines à fausses nouvelles, prolifération des chatbots, instrumentalisation du terme “fake news”… Pourtant à l’opposition de la vision originale d’internet comme porte d’entrée inédite au savoir, il semble que le web 2.0 soit devenu un écosystème peu accueillant pour la vérité. Comment expliquer ce retournement de situation ?

D’une part, on peut pointer du doigt l’architecture même des réseaux qui relaient massivement les informations : celle-ci est intrinsèquement pensée pour générer de l’engagement (des likes, des partages), quel qu’en soit le contenu, en stimulant l’émotion des utilisateurs. La publicité est également au cœur du modèle économique de la plupart des sites web, lesquels cèdent souvent à l’achat d’annonces automatisé, oubliant de filtrer celles qui divulguent de fausses nouvelles.

Du côté de la réception de l’information, le problème principal semble être que chacun d’entre nous se sent protégé de la crédulité. Or la perméabilité aux fake news n’est pas une question de degré d’éducation, et donc touche potentiellement tout le monde : nos réseaux sont si bien modelés à nos croyances que les informations qui arrivent à nous ont de fortes chances d’être déjà ajustées à notre représentation du monde. Les informations déjà peu remises en cause sont ensuite renforcées par nos biais de confirmation.

Des visions alternatives existent déjà

La première réaction face à l’avalanche de fake news ayant inondé Internet au cours des dernières années fût le fact-checking. En France, l’initiative la plus connue est celle du Monde, sous le nom des Décodeurs. Plus récemment, une plateforme de fact-checking collaborative du nom de CaptainFact propose un système de “vigilance participative” permettant de contourner la défiance envers une vision de la vérité pré-mâchée par les médias. En fin de compte, le fact-checking s’est révélé n’avoir que peu d’influence, ayant du mal à percer les bulles de filtres et donc à toucher un public véritablement difficile à convaincre.

Afin de contrer la méfiance envers les médias, Matthew Jordan proposait la mise en place d’une nouvelle “éthique médiatique”. Google annonçait de son côté la mise en place d’un label pour épingler les fausses nouvelles figurant dans Google News.

Du côté de l’éducation aux médias, de nombreux professeurs travaillent à faire prendre conscience à leurs élèves des biais cognitifs dont chacun est victime et ainsi à leur faire prendre du recul par rapport à eux. Ce travail de déconstruction permettrait de forger un esprit critique solide aux jeunes, qui sont les plus touchés par la désinformation. Facebook elle-même lançait mi-novembre en France un appel à projet afin de recueillir des initiatives favorable au “développement de l’esprit critique”. Seulement tout cela nécessite de s’entendre sur ce qu’est une “source fiable” – or le doute s’est immiscé profondément dans les interstices du web, et donc dans les esprits. Certains spécialistes, tels que danah boyd, craignent que remettre une couche de doute (pour forger un “esprit critique”) sans proposer de nouvelles clés de lecture du monde ne finisse par renforcer la polarisation.

Puisque l’on constate que l’économie même du web attire les fake news, on pourrait imaginer concevoir des plateformes et algorithmes de recommandation qui favorisent une plus grande diversité de point-de-vue. À ce titre, Zuckerberg assurait en 2016 être prêt à perturber l’équilibre économique de Facebook pour mieux filtrer les fake news, mais il reste soucieux de ce qu’on lui délègue le statut glissant d’”arbitre de la vérité”.

De leur côté, un nombre grandissant d’États refusent d’attendre le remaniement des grandes plateformes et préfèrent se protéger de manière artisanale face aux campagnes de fausses informations perturbant les élections autour du monde depuis 2016. Le gouvernement français proposait en juin 2018 un projet de “loi de fiabilité et de confiance de l’information”, fortement controversé pour cette même attribution du statut de détenteur de la vérité et les craintes de censure qui s’y attachent, ainsi que pour les doutes concernant son efficacité.

Acteurs qui y travaillent déjà

Du côté des chercheurs : danah boyd, André Gunters, Filippo Menczer, Yasodara Cordova, Antonio Casilli, Francesca Tripodi, Cory Doctorow, Farhad Manjoo

Mais aussi : Hoaxy, Pix, Les Décodeurs et leur plateforme Décodex, prochainement Facebook avec leur “fonds pour le civisme en ligne”, Public Data Lab qui a publié « Field Guide to Fake News« , le Centre pour l’éducation aux média et à l’information (CLEMI), Fréquence Écoles qui accompagne les pratiques numériques et médiatiques des jeunes.